Malcolm X (suite et fin)

Responsabilités
Plus tard dans l’année, Malcolm quitta le foyer de sa demi-sœur Ella pour aller vivre chez Elijah Muhammad à Chicago. Il devint assez vite le prêcheur du onzième temple de Nation of Islam. En 1954, Malcolm fut choisi pour diriger le temple N°7 de Nation of Islam sur Lenox Avenue à Harlem, NY (appelé conjointement « Boulevard Malcolm X » depuis 1987). Il multiplia les effectifs des fidèles en peu de temps. Malcolm X dégageait une très grande énergie et était capable de travailler d’un jour sur l’autre avec seulement quatre heures de sommeil ou moins. Il lisait beaucoup, et lorsqu’il adhérait à une cause, il s’y dévouait entièrement.

C’était un orateur convaincant, et il devint connu nationalement après une émission de télévision locale consacrée à Nation of IslamThe Hate That Hate Produced, diffusée en 1959, émission ou il était interviewé. L’organisation était jusqu’alors peu connue. Suite à l'émission, l'intérêt médiatique pour l'organisation et pour Malcolm X grandit considérablement. La presse, la radio et les émissions télévisées aux États-Unis puis dans le monde entier recherchèrent et retranscrire régulièrement ses déclarations les plus marquantes.

Dans l’intervalle qui sépare sa conversion à la cause de Nation of Islam en 1952 et sa séparation de l’organisation en 1964, il épousa pleinement les enseignements de Elijah Muhammad, notamment le fait de faire référence aux Blancs comme à des « diables », créés par un programme d’élevage mal orienté d'un scientifique Noir, Yacoub. X prédisait l’inévitable et imminent retour des Noirs à leur place naturelle, à savoir en haut de l’échelle sociale et de l’ordre social.

Malcolm savait que sa renommée était une cause de jalousie considérable à Nation of Islam, et il s’efforça de ne pas l’alimenter lors de ses apparitions en public. Malcolm X apparut cependant bientôt comme le deuxième meneur le plus influent de Nation of Islam, après Elijah Muhammad lui-même. Il ouvrit des temples supplémentaires, et notamment un à Philadelphie. On lui attribue souvent un rôle important dans la croissance de l'organisation, passée de 500 membres en 1952 à 30 000 en 1963.

Mariage

Le 14 janvier 1958, Malcolm épousa Betty X (née Sanders) à Lansing, Michigan. Ils eurent six filles, toutes portant le nom de Shabazz. Leurs prénoms étaient : Attallah (née le 16 novembre 1958), Qubilah (née le 25 décembre 1960), Ilyasah (née le 22 juillet 1962), Gamilah Lumumbah (née le 4 décembre 1964) et les jumelles Malaak et Malikah (nées le 30 septembre 1965, sept mois après la mort de Malcolm).

Conversion de Cassius Clay
Malcolm X jouera un rôle important dans la conversion du boxeur Cassius Clay, qui rejoignit officiellement Nation of Islam en 1964, et changea son nom pour celui Cassius X, en l'honneur de Malcolm. Il est à noter que cette conversion de Cassius Clay se fit à un moment où Malcolm X n'était pas en très bons termes avec son organisation. Clay prendra ensuite le nom de Muhammad Ali, et critiquera X pour sa rupture avec Elijah Muhammad, avant de suivre son exemple et de rallier l'islam sunnite.

Rencontre avec Castro

En septembre 1960, Fidel Castro se rendit aux États-Unis afin de s’adresser à l’Assemblée Générale des Nations Unies.

Castro ne reçut pas un chaleureux accueil de la part du gouvernement des États-Unis durant son séjour à New York. La délégation cubaine dut se déplacer du Shelbourne Hotel au Hotel Theresa à Harlem car Castro s’était plaint qu’on lui eût demandé de payer par avance.

Malcolm X rencontra Castro en tant que membre de tête d’un comité d’accueil qui avait été mis en place à Harlem plusieurs semaines auparavant. Le but de ce groupe, qui rassemblait un nombre important de meneurs de la communauté noire, était de rencontrer les chefs d’État, particulièrement ceux venant d’Afrique, qui allaient s’adresser à l’Assemblée générale de l’ONU. Seize pays africains devinrent membre de l’ONU à l’occasion de cette session.

Tensions et séparation

À partir du début des années 1960, plusieurs controverses vont progressivement éloigner Malcolm X et Elijah Muhammad.

Tout d’abord des affaires de mœurs : des rumeurs couraient depuis quelque temps sur les nombreux adultères commis par Elijah Muhammad avec de jeunes secrétaires du mouvement. Warith Deen Muhammad, le propre fils d’Elijah Muhammad, et un ami proche de X, informa ce dernier « en 1963, que son père Elijah Muhammad avait mis enceinte six de ses secrétaires ». L’adultère est totalement contraire aux enseignements de Nation of Islam. Après avoir écarté ces informations, Malcolm X aurait fini par en obtenir confirmation en 1963. Elijah Muhammad lui-même aurait fini par indiquer qu’étant l’envoyé de Dieu sur terre, il n’était pas soumis aux même règles que le commun des mortels, et expliquant que cette activité avait pour but de suivre la lignée des prophètes bibliques. Malcolm X note qu’il ne fut pas satisfait par l’explication, mais que sa foi en Elijah Muhammad ne vacilla pas. Malcolm indique aussi qu’il était navré de voir d’autres prêcheurs faire un usage personnel des fonds de Nation of Islam.

Le second sujet de divergence porte sur la politique : Malcolm X était intéressé par le mouvement pour les droits civiques des Noirs tels qu’il se développait depuis 1955. Si l’idéologie officielle du mouvement était opposée au nationalisme noir, et revendiquait simplement un statut d’américain normal pour les Noirs, X considérait qu’il devait y avoir une présence des nationalistes noirs et des black muslims dans ce qui apparaissait comme le premier grand mouvement de masse noir de l’histoire des États-Unis. Elijah Muhammad était en revanche hostile à la fin de la ségrégation raciale et au soutien à un mouvement dans lequel se trouvaient de nombreux blancs progressistes. Il craignait la dissolution des Noirs dans un ensemble américain dominé par les Blancs.
Conformément à la position officielle de la 
Nation, Malcolm X Malcolm critiqua la Marche sur Washington (March on Washington for Jobs and Freedom) du 28 août 1963, ne comprenant pas pourquoi les Noirs s’ébahissaient d’une manifestation « menée par les Blancs devant une statue d’un président mort depuis cent ans et qui ne nous aimait pas lorsqu’il était en vie », mais la tentation d'un rapprochement avec les autres organisations noires semble avoir été forte, et un point de divergence avec Muhammad.

Le troisième contentieux porte sur la religion : Malcolm X a commencé à s’intéresser à l’islam sunnite officiel, semble-t-il sous l'influence du propre fils de Muhammad, Warith Deen Muhammad, lequel indique qu'il s'était intéressé à l'islam orthodoxe dès les années 1950, en prison. Or la religion prêchée par Elijah Muhammad en était très éloignée. L’intérêt montré par X à l’égard de l’islam orthodoxe ne pouvait donc que l’éloigner de son mentor.

On peut enfin citer des divergences d’ambitions : l’aura de X au sein de la communauté noire en général et de Nation of Islam en particulier, sa médiatisation importante, semblent avoir inquiété Elijah Muhammad.

Au printemps de 1963, Malcolm commença à collaborer avec Alex Haley pour écrire son autobiographie.

En novembre 1963, après l’assassinat du président Kennedy, toutes les divergences éclatèrent sur la place publique, après une déclaration controversée de X. Celui-ci déclara en effet que la violence que Kennedy n’avait pas pu arrêter se retournait contre lui. Il ajouta « Chickens coming home to roost never made me sad. It only made me glad » (« les poulets revenant au poulailler ne me rendent jamais triste, ils me rendent seulement heureux » - En français, Chickens coming home to roost a une signification proche de « qui sème le vent récolte la tempête »). Cette phrase pouvait se comprendre comme une approbation de l’assassinat. Elijah Muhammad désavoua cette déclaration, et interdit à X toute déclaration publique pendant 90 jours, injonction à laquelle Malcolm X obéit. Mais les relations entre les deux hommes atteignaient leur point de rupture. Dans son autobiographie, X affirme même qu’un de ses assistants lui aurait alors dit avoir reçu l’ordre de la direction de la NoI de le tuer.

Martin Luther King, Jr. et Malcolm X, le 26 mars 1964

Le 8 mars 1964, il annonça officiellement le fait qu’il quittait Nation of Islam. Le 11 mars 1964, il fit peser la responsabilité de la rupture sur Nation of Islam : « Les Officiels nationaux ici au Siège de Chicago savent que je n'ai jamais quitté Nation of Islam de ma propre initiative. Ce sont eux qui ont conspiré avec le Capitaine Joseph ici à New York pour me forcer à quitter la Nation. Afin de sauver les Officiels nationaux et Capitaine Joseph de la disgrâce d'avoir à s'expliquer... de m'avoir évincé, j'ai annoncé par voie de presse que j'étais parti de ma propre initiative. Je n'ai pas pris la faute sur moi pour protéger ces Officiels nationaux, mais pour protéger la foi que vos fidèles ont en vous et en Nation of Islam. ».

Le 12 mars, il annonça la fondation de sa propre organisation religieuse, « The Muslim mosque inc. ».

Peu de temps après, il se convertit à l’islam sunnite orthodoxe. Le 13 avril 1964, Malcolm X partit de l’aéroport John Fitzgerald Kennedy pour faire le pèlerinage à la Mecque (le hajj) dont il revint sous le nom musulman de Malik El-Shabazz. Son épouse et ses filles prirent alors le nom de famille de Shabazz.

Il condamna le racisme anti-blanc de la Nation de l'Islam. Il écrivit ainsi à propos de son pèlerinage :

« Il y avait des dizaines de milliers de pèlerins, de partout dans le monde. Ils étaient de toutes les couleurs, des blonds aux yeux bleus aux Africains à la peau noire. Mais nous étions tous les participants d'un même rituel, montrant un esprit d'unité et de fraternité que mes expériences en Amérique m'avaient mené à croire ne jamais pouvoir exister entre les blancs et les non-blancs. L'Amérique doit comprendre l'Islam, parce que c'est la seule religion qui efface de sa société le problème des races. »

Mais Malcolm X resta fidèle à une action tournée de façon privilégiée vers le peuple noir. Il refusa aussi de condamner la violence des opprimés, et eut des paroles assez dures pour les tenants de la non-violence, qu’il accusa d’encourager à la soumission. C'est ainsi le cas dans son célèbre discours du 3 mai 1964, peu après son retour de la Mecque, The Ballot or the Bullet, où il menace de recourir à la violence, et traite certains politiciens blancs de crackers, un terme péjoratif anti-blanc. Dans le même discours, il déclare :

« Si l'homme blanc ne veut pas que nous soyons contre lui, qu'il cesse de nous opprimer, de nous exploiter et de nous dégrader. Que nous [les noirs] soyons chrétiens, ou musulmans, ou nationalistes, ou agnostiques, ou athées, nous devons d'abord apprendre à oublier nos différences. [...] Nous allons être forcés d'employer le vote ou la balle. [...] Je ne me considère même pas comme un américain. Je ne suis pas un Américain. Je suis l'une de 22 millions de personnes noires qui sont les victimes de l'Américanisme [...] Il y aura des cocktails Molotov ce mois-ci, des grenades à main le mois prochain, et autre chose le mois suivant. [...] Ce sera la liberté, ou ce sera la mort. »

Pour lui, la priorité n'est pas d'unir les blancs et les noirs, il faut d'abord que l'union des noirs soit complète, et ensuite, il se battra pour l'union noir-blanc.

Peu de temps après son retour de la Mecque, Malcolm X fonda l’« organisation pour l’unité afro-américaine », un groupe politique non religieux. Il affirme ainsi sa volonté de mener à la fois une lutte religieuse pour l’Islam, et une lutte politique pour les Noirs, les deux fonctionnant de façon autonome.

Si Malcolm X rompt avec la NOI sur le plan religieux, il reste relativement fidèle aux idées socio-économiques de l'organisation nationaliste noir - insistant notamment sur l'importance de l'existence d'entreprises noires indépendantes des blancs et de l'auto-organisation de la communauté.

L'assassinat 
La tension entre Malik El-Shabazz et Nation of Islam ne cessa de croître. Le 14 février 1965, sa maison fut l’objet d’un attentat à la bombe.

Deux mois avant son assassinat, Louis Farrakhan avait écrit « un tel homme est digne de mourir ».

Le 21 février 1965, Malcolm X prononce un discours dans le quartier de Harlem, à New York, devant un auditoire de 400 personnes, dont son épouse et ses enfants. Le discours commence à peine lorsqu'une dispute éclate dans la foule, un homme en accusant un autre d'avoir les mains dans ses poches. Malcolm X, au micro, les appelle au calme lorsqu'un membre des Black Muslims s'avance vers lui avec un fusil à canon scié ; touché au ventre, Malcolm X tombe en arrière, tandis que deux autres personnes lui tirent 16 fois dessus avec des revolvers. Malcolm X décède sur le coup. L'identité des commanditaires reste inconnue, bien que les soupçons se portent principalement sur Nation of Islam, infiltrée par plusieurs agents du FBI qui avaient appris l'existence d'un projet d'assassinat de Malcolm X.

Trois membres de Nation of Islam seront reconnus coupables en 1966 : Norman 3X Butler, Thomas 15X Johnson et Talmadge Hayer. L’organisation elle-même niera toute participation à l’assassinat. « Betty Shabazz [l'épouse de Malcolm X], qui est morte en 1997, a publiquement accusé Farrakhan d’un rôle dans le meurtre ». Celui-ci a admis au début 2007 : « j’ai pu être complice en paroles », tout en niant une implication directe de l’organisation. En 1994, Qubilah Shabazz, une des filles de Malcolm X sera arrêtée et inculpée pour avoir payé un tueur à gage chargé de tuer Farrakhan, accusation abandonnée en 1995. Il a également été envisagé que le FBI ait eu connaissance du projet d’assassinat et l’ait couvert, voire aidé. Cette hypothèse a été reprise par la NoI.

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